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— Quoi ! Que voulez-vous dire ? interrompit Jacques avec un accent de terreur désespérée, est-ce que vous allez vous taire vis-à-vis de moi aussi ? Je ne mérite donc plus votre confiance, ou bien vous ne voulez pas que ce soit moi qui vous sauve ?

— Ni vous, ni personne. Un devoir inexorable m’est imposé, un serment plus inviolable encore me lie, je ne puis ni ne dois reculer. Il faut que je sois coupable, il faut que la honte et le malheur tombent sur moi seule, il faut me laisser mourir si la société outragée demande une victime, il faut oublier que j’ai vécu !

Jacques la repoussa violemment, et, avec un geste sublime d’énergie :

— Je vous sauverai, s’écria-t-il, je le sens, je le veux !

— Malgré moi ? demanda-t-elle presque hautaine, se redressant à son tour.

— Malgré vous, malgré elle, malgré le monde entier.

— Je vous le défends.

— Vous me le défendez ? De quel droit ? Ah ! c’est ce que nous verrons ! Un jour, une seule fois, vous avez comme tout à l’heure reposé votre tête sur mon cœur, vous acceptiez alors mon amour, vous consentiez à venir illuminer de votre chère présence ma maison déserte. Le lendemain de ce jour, unique dans ma vie, sans une explication, sans une parole d’espoir, vous avez brisé ce cœur qui vous appartenait, qui vous appartient toujours exclusivement ! Vous avez exigé que je m’éloigne, que je renonce à vous ! Ah ! quelle torture !… Ai-je souffert, ai-je pleuré ? Vous ai-je, dans mes heures de solitude et de désespoir, regrettée et désirée !… Vous ai-je appelée, maudite et adorée tour à tour ?… Et cependant, je ne vous ai pas reproché votre cruauté ; je ne vous ai jamais fait connaître ces deuils sans fin, ces douleurs sans nom, dont seule vous étiez