tension de l’esprit, telle qu’il n’y en eut pas encore
sur terre : et avec un arc si fortement tendu il est
possible, dès lors, de tirer sur les cibles les plus
lointaines. Il est vrai que l’homme d’Europe
souffre de cette tension et, par deux fois, l’on fit de
vastes tentatives pour détendre l’arc ; ce fut d’abord
par le jésuitisme et ensuite par le rationalisme
démocratique. À l’aide de la liberté de la presse, de la
lecture des journaux, il se pourrait que l’on obtînt
véritablement ce résultat : l’esprit ne mettrait plus
tant de facilité à se considérer comme un « péril ».
(Les Allemands ont inventé la poudre — tous nos
compliments ! Ils se sont rattrapés depuis — ils ont
inventé la presse.) Mais nous, nous qui ne sommes
ni jésuites, ni démocrates, ni même assez
Allemands, nous autres bons Européens et esprits
libres, très libres esprits — nous sentons encore
en nous tout le péril de l’intelligence et toute la
tension de son arc ! Et peut-être aussi la flèche,
la mission, qui sait ? le but peut-être…
- Sils Maria, Haute-Engadine.
- Juin 1885.
- Sils Maria, Haute-Engadine.