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QU’EST-CE QUI EST NOBLE ?

devoirs qu’envers ses égaux ; qu’à l’égard des êtres de rang inférieur, à l’égard de tout ce qui est étranger, l’on peut agir à sa guise, comme « le cœur vous en dit », et de toute façon en se tenant « par-delà le bien et le mal ». On peut, si l’on veut, user ici de compassion et de ce qui s’y rattache. La capacité et le devoir d’user de longue reconnaissance et de vengeance infinie — les deux procédés employés seulement dans le cercle de ses égaux, — la subtilité dans les représailles, le raffinement dans la conception de l’amitié, une certaine nécessité d’avoir des ennemis (pour servir en quelque sorte de dérivatifs aux passions telles que l’envie, la combativité, l’insolence, et, en somme, pour pouvoir être un ami véritable à l’égard de ses amis) : tout cela appartient à la caractéristique de la morale noble, qui, je l’ai dit, n’est pas la morale des « idées modernes », ce qui fait qu’aujourd’hui, elle est difficile à concevoir et aussi difficile à déterrer et à découvrir. — Il en est différemment de l’autre morale, de la morale des esclaves. En supposant que les êtres asservis, opprimés et souffrants, ceux qui ne sont pas libres, mais incertains d’eux-mêmes et fatigués, que ces êtres se mettent à moraliser, quelles idées communes trouveront-ils dans leurs appréciations morales ? Vraisemblablement ils voudront exprimer une défiance pessimiste à l’égard des conditions générales de l’homme, peut-être une condamnation de l’homme et de toute