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PAR DELÀ LE BIEN ET LE MAL

térature, qu’on chercherait vainement dans le reste de l’Europe. — La seconde supériorité des Français sur l’Europe, c’est leur vieille et riche culture morale, grâce à laquelle il existe en moyenne, même chez les petits romanciers des journaux et chez n’importe quel boulevardier de Paris, une sensibilité et une curiosité psychologiques dont les autres, les Allemands par exemple, sont incapables, dont ils n’ont même pas idée. Les Allemands n’ont pas eu ce qu’il fallait pour en arriver là : ces quelques siècles d’active éducation morale, que la France a pris la peine de se donner ; et partir de là pour qualifier les Allemands de « naïfs », c’est leur faire un mérite de ce qui est un défaut. (Voici qui forme un parfait contraste à l’inexpérience de l’Allemagne et à son innocente abstention de la volupté psychologique — le mortel ennui des relations entre Allemands est assez proche parent de cette innocence — et voici qui exprime parfaitement la curiosité naturelle aux Français et leur richesse inventive dans ce monde d’émotions délicates : je veux parler d’Henri Beyle, ce précurseur et ce divinateur admirable qui, d’une allure à la Napoléon, parcourut son Europe, plusieurs siècles d’âme européenne, démêlant et découvrant cette âme ; il fallut deux générations pour le joindre, pour deviner quelques-unes des énigmes qui l’obsédaient et le ravissaient, lui, cet étonnant épicurien et ce curieux interrogateur, qui fut le dernier grand psychologue