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PEUPLES ET PATRIES

plus incalculables, plus surprenants que les autres peuples ne le sont à eux-mêmes ; ils échappent à toute définition, et cela suffirait pour qu’ils fissent le désespoir des Français. Il est significatif que la question : « Qu’est-ce qui est Allemand ? » reste toujours ouverte. Kotzebue connaissait évidemment bien ses Allemands : « Nous sommes dévoilés ! » s’écrièrent-ils en l’acclamant, — mais Sand[1], lui aussi, croyait bien les connaître. Jean-Paul savait ce qu’il faisait, lorsqu’il protesta avec colère contre les flatteries et les exagérations mensongères, mais patriotiques, de Fichte ; mais il est probable que Gœthe qui donnait raison à Jean-Paul contre Fitchte, pensait des Allemands autre chose que Jean-Paul. — Au fait qu’est-ce que Gœthe pouvait bien penser des Allemands ? Sur bien des sujets fort proches de lui il ne s’est jamais expliqué clairement et il a su garder, sa vie durant, un habile silence ; il avait sans doute pour cela de bonnes raisons. Mais ce qui est certain, c’est que ce ne furent pas les « guerres d’indépendance », ni d’ailleurs la Révolution française, qui lui donnèrent une très vive joie : l’événement qui transforma son Faust, qui transforma toute son idée de l’homme, ce fut l’apparition de Napoléon. Il y a des mots de Gœthe qui sont comme un verdict impatient et dur, rendu par un étranger, contre ce qui est l’orgueil des Alle-

  1. Sand assassina par exaltation patriotique le poète Auguste de Kotzebue, conseiller d’État russe, à Mannheim, en 1819. — N. d. T.