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PAR DELÀ LE BIEN ET LE MAL

politique comme ailleurs. Un homme d’État qui leur élève une nouvelle tour de Babel, un monstre quelconque d’Empire et de puissance, s’appelle « grand » pour eux : — qu’importe que nous autres, qui sommes plus prudents et plus réservés, nous n’abandonnions provisoirement pas encore la croyance ancienne que seule la grandeur de la pensée fait la grandeur d’une action ou d’une chose. Supposé qu’un homme d’État mette son peuple dans la situation de faire dorénavant de la « grande politique », ce à quoi il est, de nature, mal doué et mal préparé : il aurait alors besoin de sacrifier ses vieilles et sûres vertus pour l’amour de nouvelles médiocrités douteuses, — en admettant qu’un homme d’État condamne son peuple à faire la politique d’une façon générale, tandis que ce peuple avait jusqu’à présent mieux à faire et à penser et qu’au fond de son âme il ne pouvait se débarrasser du dégoût plein de méfiance que lui inspirait l’agitation, le vide, l’esprit bruyant et querelleur des peuples vraiment politiques : — en admettant qu’un tel homme d’État aiguillonne les passions et les convoitises latentes de son peuple, qu’il lui fasse un reproche de sa timidité d’hier et de son plaisir à rester spectateur, un crime de son exotisme et de son goût secret de l’infini, qu’il déprécie devant lui ses penchants les plus intimes, qu’il lui retourne sa conscience, qu’il rende son esprit étroit, son goût « national », — com-