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NOS VERTUS

les fausser à son usage, certains traits et certaines lignes de tout ce qui lui est étranger, de tout ce qui fait partie du « monde extérieur ». Il manifeste ainsi l’intention d’incorporer de nouvelles « expériences », d’enregistrer des choses nouvelles dans les cadres anciens, — c’est là, en somme, l’accroissement, ou plus exactement encore le sentiment de l’accroissement, le sentiment de la force accrue. Au service de cette volonté se trouve une tendance, opposée en apparence, de l’esprit, une résolution soudaine d’ignorer, de s’isoler arbitrairement, de fermer ses fenêtres, une négation interne de telle ou telle chose, une défense de se laisser aborder, une sorte de posture défensive contre beaucoup de choses connaissables, un contentement de l’obscurité, de l’horizon borné, une affirmation et une approbation de l’ignorance : tout cela est nécessaire, dans la mesure de son pouvoir d’assimilation, de sa « force de digestion », au figuré bien entendu. — D’ailleurs « l’esprit » ressemble à un estomac plus qu’à toute autre chose. De même il faut nommer ici la volonté occasionnelle de l’esprit de se laisser tromper, peut-être avec la malicieuse arrière-pensée qu’il n’en est pas ainsi, mais qu’on ne fait que garder les apparences. Peut-être y a-t-il ici un plaisir causé par l’incertitude et l’amphibologie, une jouissance intime et joyeuse dans l’étroitesse et le mystère voulus d’un petit coin, plaisir d’un voisinage trop proche, d’une poussée au premier plan,