Page:Nietzsche - Par delà le bien et le mal.djvu/229

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
229
NOS VERTUS

228.

Qu’on me pardonne si j’ai découvert que jusqu’ici toute philosophie morale a été ennuyeuse et a fait partie des soporifiques, — comme aussi que rien à mes yeux ne fait plus de tort à la « vertu » que cet ennui répandu par ses avocats ; par quoi je ne veux pas avoir méconnu l’utilité générale de ces avocats. Il importe beaucoup que ce soit le plus petit nombre d’hommes possible qui s’occupe de méditer sur la morale, — il importe donc énormément que la morale ne finisse pas par devenir intéressante ! Mais qu’on soit sans crainte ! Il en est aujourd’hui comme il en a toujours été : je ne vois personne en Europe qui aurait (ou donnerait) l’idée que la méditation au sujet de la morale pût être poussée jusqu’à devenir dangereuse, insidieuse, séduisante, — qu’elle pût contenir un sort néfaste. Considérez, par exemple, les infatigables et inévitables utilitaires anglais, comme ils marchent et cheminent (une comparaison homérique serait plus claire) lourdement et gravement sur les traces de Bentham, qui lui-même marchait sur les traces de l’honorable Helvétius (oh non ! ce n’était pas là un homme dangereux, cet Helvétius, ce sénateur Pococurante, pour employer, l’expression de Galiani —). Aucune pensée nouvelle, rien d’une tournure plus délicate ou du déploiement d’une pensée ancienne, pas même une véritable