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NOUS AUTRES SAVANTS

sion de connaître, pousser leurs expérimentations téméraires et douloureuses jusqu’à l’offense du goût efféminé et affadi d’un siècle démocratique ? — Point de doute : ces hommes de l’avenir pourront le moins se passer des qualités, sévères et non sans danger, qui distinguent le critique du sceptique, je veux dire la sûreté d’appréciation, le maniement conscient d’une méthode dans son unité, le courage déniaisé, l’énergie suffisante pour se tenir à l’écart, pour assumer la responsabilité de ses propres actes ; de plus, ils avouent en eux un penchant à nier et à analyser et une certaine cruauté raisonnée qui sait manier le couteau avec sûreté et adresse, même quand le cœur saigne. Ils seront plus durs (et non point toujours seulement contre eux-mêmes) que les hommes humains ne le désireraient ; ils n’auront pas commerce avec la vérité pour qu’elle leur « plaise » ou les « élève » et les « enthousiasme », ils tiendront peu à croire que la vérité traîne à sa suite de telles jouissances pour le sentiment. Ils souriront, ces esprits sévères, quand quelqu’un dira devant eux : « cette pensée m’élève, comment ne serait-elle pas vraie ? » Ou : « cet ouvrage m’enchante : comment ne serait-il pas beau ? » Ou encore : « cet artiste me rend plus grand, comment ne serait-il pas grand lui-même ? » — Ils n’auront peut-être pas seulement un sourire, mais un véritable dégoût — devant toutes ces fadaises romanesques, idéalistes, efféminées,