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PAR DELÀ LE BIEN ET LE MAL

son « sommeil dogmatique », qu’on se rappelle la conception ancienne qu’il fallut vaincre au moyen de cet esprit. Le temps n’est pas encore si éloigné où une femme virilement douée osa, avec une arrogance suprême, recommander à l’intérêt de l’Europe les Allemands, ces lourdauds au cœur tendre, à la volonté faible, à la nature poétique. Qu’on pénètre donc jusqu’au fond de l’étonnement de Napoléon quand il vit Gœthe. Cet étonnement laisse deviner ce qu’on avait supposé pendant des siècles être l’esprit allemand. « Voilà un homme ! » — cela voulait dire : Mais c’est un homme cela ! Et je ne m’étais attendu à ne voir qu’un Allemand !

210.

En admettant donc que, dans l’image des philosophes de l’avenir, un trait quelconque laisse deviner qu’ils sont des sceptiques, dans le sens que l’on vient d’indiquer, on n’aurait fait encore que signaler une de leurs particularités — on ne les aurait pas caractérisés eux-mêmes par là. Ils auraient autant de droits à être appelés des critiques et ce seront sûrement des hommes voués à l’expérimentation. Par le nom dont j’ai osé les baptiser, j’ai déjà souligné clairement la tentative et le plaisir de la tentative : cela provient-il de ce que, critiques de corps et d’âme, ils aiment à se servir de l’expérimentation dans un sens nouveau, peut-être plus étendu, peut-être plus périlleux ? Doivent-ils, dans leur pas-