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PAR DELÀ LE BIEN ET LE MAL

est éloigné de celui des Héraclite, des Platon, des Empédocle et de tous ces solitaires de l’esprit, superbes et royaux, et combien un brave homme de science se sent aujourd’hui, à bon droit, de meilleure naissance et d’espèce plus noble, en face de ces représentants de la philosophie qui aujourd’hui, grâce à la mode, tiennent le haut et le bas du pavé — je cite par exemple en Allemagne ces deux lions de Berlin, l’anarchiste Eugène Dühring et l’amalgamiste Édouard de Hartmann. C’est surtout le spectacle de ces philosophes du mêli-mêlo — ils s’appellent « philosophes de la réalité » ou « positivistes » — qui est capable de jeter une dangereuse méfiance dans l’âme d’un savant jeune et ambitieux. Ceux-là sont, tout au plus, des savants et des spécialistes, c’est de la plus parfaite évidence ! Tous, tant qu’ils sont, ressemblent à des vaincus, ramenés sous le joug de la science, ce sont des gens qui, autrefois, ont aspiré à obtenir davantage d’eux-mêmes, sans avoir un droit à ce « davantage » et à la responsabilité qu’il comporte. Mais ils représentent maintenant, tels qu’ils sont, honorables, rancuniers et vindicatifs, en parole et en action, l’incrédulité au sujet de la tâche directrice et de la suprématie qui incombent à la philosophie. Et comment saurait-il en être autrement ? La science est aujourd’hui florissante, la bonne conscience, qui est la science, est écrite sur son visage, tandis que cet abaissement où est tombée peu à peu toute