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PAR DELÀ LE BIEN ET LE MAL

mes spirituels » du christianisme ont fait jusqu’à présent pour l’Europe ! Et pourtant, quand elles donnaient des consolations à ceux qui souffrent, du courage aux opprimés et aux désespérés, un soutien et un appui aux irrésolus, quand elles attiraient dans les cloîtres, ces maisons de correction de l’âme, les cœurs brisés et les esprits déchaînés, que leur restait-il à faire encore, pour travailler, en bonne conscience, et systématiquement, à la conservation de tout ce qui est malade et de tout ce qui souffre, c’est-à-dire, en fait et en cause, à l’altération de la race européenne ? Renverser toutes les appréciations de valeurs, voilà ce qu’elles devaient faire ! Briser les forts, affadir les grandes espérances, rendre suspect le bonheur dans la beauté, abattre tout ce qui est souverain, viril, conquérant et dominateur, écraser tous les instincts qui sont propres au type « homme » le plus élevé et le mieux réussi, pour y substituer l’incertitude, la misère de la conscience, la destruction de soi, transformer même tout l’amour des choses terrestres et de la domination sur la terre en haine contre le monde d’ici-bas, — voilà la tâche que s’est imposée l’Église et elle devait se l’imposer jusqu’à ce qu’enfin, pour elle, « ascétisme », « vie spirituelle », et « homme supérieur » se fussent fondus en un seul sentiment. En supposant que l’on considère, avec l’œil railleur et indifférent d’un dieu épicurien, la comédie singulièrement douloureuse,