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valeur de la guerre et de la joie de la guerre diminuent et qu’on aspire aux agréments de la vie avec autant d’ardeur que l’on aspirait autrefois aux honneurs de la guerre et de la gymnastique. Mais on a l’habitude de passer sous silence que cette vieille énergie populaire, cette passion populaire, qui, par la guerre et les tournois, recevait une visibilité magnifique, s’est transformée maintenant en passion privée divisée infiniment et moins visible ; il est même probable que, dans l’état de « corruption », la puissance et la force de l’énergie qu’un peuple dépense sont plus grandes que jamais, et l’individu en use avec beaucoup plus de prodigalité qu’il n’a pu le faire précédemment : — car alors il n’était pas encore assez riche pour cela ! C’est donc précisément aux époques de « relâchement » que la tragédie court les maisons et les rues, que naissent le grand amour et la grande haine et que la flamme de la connaissance s’élève avec éclat vers le ciel. — On prétend, en troisième lieu, que, pour compenser en quelque sorte le reproche de superstition et de relâchement, aux époques de corruption, les mœurs sont plus douces et que, comparée aux époques anciennes, plus croyantes et plus fortes, la cruauté est maintenant en diminution. Mais je ne puis pas non plus accéder à cet éloge, tout aussi peu qu’au blâme qu’il contient : je ne reconnais qu’une chose, c’est que la cruauté s’affine maintenant et que les formes qu’elle revêtait anciennement lui sont dorénavant contraires : la blessure et le supplice, cependant, au moyen de la parole et du regard, atteignent,