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NIETZSCHE CONTRE WAGNER


fondeur et d’éloigner de nous toute confiance, toute bonhomie, toute atténuation, toute tendresse, toute médiation où autrefois peut-être nous avions mis notre humanité. Je doute qu’une telle souffrance « rende meilleur » : mais je sais qu’elle nous rend plus profonds… Soit que nous apprenions à lui opposer notre fierté, notre moquerie, notre force de volonté, pareils à cet Indien qui, si cruellement torturé qu’il soit, s’estime vengé de son bourreau par la méchanceté de sa langue, soit que nous nous retirions, devant la douleur, dans le néant, dans la résignation muette, inflexible et sourde, dans l’oubli et dans l’effacement de soi, on est un autre homme en sortant de ces longs et dangereux exercices dans la domination de soi, on revient avec quelques points d’interrogation de plus — et avant tout avec la volonté de poser dorénavant des questions plus nombreuses, plus profondes, plus sévères, plus dures, plus méchantes et plus silencieuses qu’on n’en a jamais posé jusqu’ici, dans ce monde… La confiance dans la vie a disparu, la vie elle-même est devenue un problème. — Mais qu’on ne croie pas qu’il ait fallu devenir pour cela obscurantistes et hibou ! L’amour de la vie est même encore possible, — cependant on aime d’une autre façon… C’est l’amour pour une femme qui nous inspire des doutes…

2.

Une chose absolument étrange c’est qu’après ce premier goût il vous en vient un autre — un deuxième goût. De pareils abîmes, même de l’abîme du grand