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NIETZSCHE CONTRE WAGNER

fatigué par la continuelle désillusion au sujet de tout ce qui nous enthousiasmait encore, nous autres hommes modernes ; de la force, du travail, de l’espérance, de la jeunesse, de l’amour inutilement prodigués partout ; fatigué par dégoût de toute cette menterie idéaliste et de cet amollissement de la conscience, qui de nouveau l’avaient emporté sur l’un des plus braves ; fatigué enfin, et ce ne fut pas ma moindre fatigue, par la tristesse d’un impitoyable soupçon — je pressentais que j’allais être condamné désormais à me défier plus encore, à mépriser plus profondément, à être plus absolument seul que jamais. Car je n’avais eu personne que Richard Wagner… Je fus toujours condamné à des Allemands…

2.

Solitaire désormais et me méfiant jalousement de moi-même, je pris alors, non sans colère, parti contre moi-même, et pour tout ce qui justement me faisait mal et m’était pénible : c’est ainsi que j’ai retrouvé le chemin de ce pessimisme intrépide qui est le contraire de toutes les hâbleries idéalistes, et aussi, comme il me semble, le chemin vers moi-même, — le chemin de ma tâche… Ce quelque chose de caché et de dominateur qui longtemps pour nous demeure innommé jusqu’à ce qu’enfin nous découvrions que c’est là notre tâche, — ce tyran prend en nous une terrible revanche à chaque tentative que nous faisons pour l’éviter et pour lui échapper, à chaque décision prématurée, à chaque essai d’assi-