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NIETZSCHE CONTRE WAGNER

tout entier, que demande-t-il en fin de compte à la musique ? Car il n’y a pas d’âme… Je crois qu’il demande un allègement : comme si toutes les fonctions animales devaient être accélérées par des rythmes légers, hardis, effrénés et orgueilleux ; comme si la vie d’airain et de plomb devait perdre sa lourdeur, sous l’action de mélodies dorées, délicates et douces comme de l’huile. Ma mélancolie veut se reposer dans les cachettes et dans les abîmes de la perfection : c’est pour cela que j’ai besoin de musique. Mais Wagner rend malade. — Que m’importe, à moi, le théâtre ? Que m’importent les crampes de ses extases « morales » dont le peuple se satisfait ! — et qui n’est pas « peuple ! » Que m’importent toutes les simagrées du comédien ! — On le devine, j’ai un naturel essentiellement anti-théâtral ; au fond de l’âme, j’ai contre le théâtre, cet art des masses par excellence, le dédain profond qu’éprouve aujourd’hui tout artiste. Succès au théâtre — avec cela on baisse dans mon estime jusqu’à ne plus exister ; insuccès — je dresse l’oreille et je commence à considérer… Mais Wagner, tout au contraire, à côté du Wagner qui fait la musique la plus solitaire qu’il y ait, était essentiellement homme de théâtre et comédien, le mimomane le plus enthousiaste qu’il y ait peut-être jamais eu, même en tant que musicien… Et, soit dit en passant, si la théorie de Wagner a été « le drame est le but, la musique n’est toujours que le moyen » — sa pratique a été, au contraire, du commencement à la fin, « l’attitude est le but, le drame et même la musique ne sont toujours que les moyens ». La musique sert à accentuer, à renforcer, à intérioriser le