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L’ANTÉCHRIST


son service ; elle éloigne toute hésitation ; elle donne le courage des moyens impies ; elle permet des convictions dans certaines circonstances. La conviction en tant que moyen : il y a beaucoup de choses que l’on n’atteint qu’avec une conviction. La grande passion a besoin de convictions, elle use des convictions, elle ne se soumet pas à elles, — elle se sait souveraine. — Au contraire, le besoin de foi, de quelque chose qui ne dépend pas du oui et du non, le carlylisme, si je puis ainsi dire, est un besoin de la faiblesse. L’homme de foi, le « croyant » de toutes espèces, est nécessairement un homme dépendant, —— quelqu’un qui ne se considère pas comme un but, qui ne peut déterminer des buts. Le « croyant » ne s’appartient pas, il ne peut être que moyen, il doit être consommé, il a besoin de quelqu’un qui le consomme. Son instinct rend le plus grand honneur à une morale de sacrifice : tout le persuade de cette morale, sa prudence, son expérience, sa vanité. Toute espèce de foi en une chose est elle-même une sorte de sacrifice, d’éloignement de soi… Si l’on songe combien est nécessaire, pour la plupart des gens, un régulait qui les lie et les immobilise du dehors, que la contrainte, dans un sens plus élevé l’esclavage, est la seule et dernière condition qui permette de prospérer aux hommes de volonté faible, surtout à la femme : on comprendra aussi la conviction, la « foi ». L’homme de conviction a son épine dorsale dans la foi. Ne point voir certaines choses, n’être indépendant sur aucun point, être toujours d’un « parti », avoir partout une optique sévère et nécessaire — cela seul