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L’ANTÉCHRIST


ce pantin in psychologicis, a fourni pour l’explication du type de Jésus les deux idées les plus indues que l’on puisse donner : l’idée de génie et l’idée de héros. Cependant, si une chose n’est pas évangélique, c’est bien l’idée de héros. Le contraire de toute lutte, de tout sentiment de se trouver au combat, s’est mué en instinct : L’incapacité de résistance, se transforme en morale (« ne résiste pas au mal », la plus profonde parole des évangiles, en quelque sorte la clef), la béatitude dans la paix, dans la douceur, dans l’incapacité d’être ennemi. Que signifie la « bonne nouvelle » ? La vie véritable, la vie éternelle est trouvée, — on ne la promet pas, elle est là, elle est en vous : C’est la vie dans l’amour, dans l’amour sans déduction, sans exclusion, sans distance. Chacun est enfant de Dieu — Jésus n’accapare absolument rien pour lui —, en tant qu’enfant de Dieu, chacun est égal à chacun… Faire de Jésus un héros ! — Et quel malentendu est encore le mot « génie » ! Toute notre notion d’« esprit », cette idée de civilisation, n’a point de sens dans un monde où vit Jésus. À parler avec la sévérité du physiologiste, un tout autre mot serait bien autrement à sa place… Nous connaissons un état morbide d’irritation du sens tactile qui recule devant un attouchement, qui frémit dès qu’il saisit un objet solide. Qu’on réduise un pareil habitus à sa dernière conséquence, — il deviendra un instinct, une haine contre toute réalité, une fuite dans « l’insaisissable », dans « l’incompréhensible », une répugnance contre toute formule, toute notion de temps et d’espace, contre tout ce qui est solide, coutume, institution, Église ;