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L’ANTÉCHRIST

8.

Il est nécessaire de dire qui nous considérons intérieurement comme notre constraste : — les théologiens et tout ce qui a du sang de théologien dans les veines — toute notre philosophie… Il faut avoir vu de près cette destinée, mieux encore, il faut l’avoir vécue, il faut avoir manqué périr par elle pour ne plus comprendre la plaisanterie dans ce cas (la libre pensée de messieurs nos hommes de science, de nos physiologistes est à mes yeux une plaisanterie, la passion leur manque dans ces questions, il leur manque d’avoir souffert avec elles). Cet empoisonnement va beaucoup plus loin qu’on ne pense : j’ai trouvé l’instinct théologique de l’orgueil partout où aujourd’hui on se sent « idéaliste », partout où, grâce à une origine plus haute, on s’arroge le droit de regarder la réalité de haut, comme si elle nous était étrangère… L’idéaliste, tout comme le prêtre, a toutes les grandes idées en main (et non seulement en main !), il en joue avec un dédain bienveillant contre la « raison », les « sens », les « honneurs », le « bien-être », la « science », il se sent au-dessus de tout cela, comme si c’étaient des forces pernicieuses et séductrices, au-dessus desquelles « l’esprit » plane en une pure réclusion : comme si l’humilité, la chasteté, la pauvreté, en un mot la sainteté, n’avaient pas fait jusqu’à présent beaucoup plus de mal à la vie que n’importe quelles choses épouvantables, que n’importe quels vices… Le pur esprit est pur mensonge. Tant que le prêtre passera encore pour une espèce supérieure, le prêtre, ce négateur, ce calom-