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LE CRÉPUSCULE DES IDOLES


cet être à deux faces, idéaliste et canaille. La farce sanglante qui se joua alors, « l’immoralité » de la Révolution, tout cela m’est égal ; ce que je hais, c’est sa moralité à la Rousseau, — les soi-disant « vérités » de la Révolution par lesquelles elle exerce encore son action et sa persuasion sur tout ce qui est plat et médiocre. La doctrine de l’égalité !… Mais il n’y a pas de poison plus vénéneux : car elle paraît prêchée par la justice même, alors qu’elle est la fin de toute justice… « Aux égaux, égalité, aux inégaux, inégalité — tel devrait être le vrai langage de toute justice ; et, ce qui s’ensuit nécessairement, ce serait de ne jamais égaliser des inégalités. » — Autour de cette doctrine de l’égalité se déroulèrent tant de scènes horribles et sanglantes, qu’il lui en est resté, à cette « idée moderne » par excellence, une sorte de gloire et d’auréole, au point que la Révolution, par son spectacle, a égaré jusqu’aux esprits les plus nobles. Ce n’est pas une raison pour l’en estimer plus. — Je n’en vois qu’un qui la sentit comme elle devait être sentie, avec dégoût. — Gœthe…

49.

Gœthe. — Événement, non pas allemand, mais européen : tentative grandiose de vaincre le dix-huitième siècle par un retour à l’état de nature, par un effort pour s’élever au naturel de la Renaissance, par une sorte de contrainte exercée sur lui-même par notre siècle. — Gœthe en portait en lui les instincts les plus forts : la sentimentalité, l’idolâtrie de la nature, l’antihistorisme, l’idéalisme, l’irréel et le