Page:Nietzsche - Le Crépuscule des Idoles - Le Cas Wagner - Nietzsche contre Wagner - L'Antéchrist (1908, Mercure de France).djvu/22

Cette page a été validée par deux contributeurs.
22
LE CAS WAGNER


de nature. Mais pour les philosophes, tout horizon n’étant qu’un simple manque de compréhension, une manière de fermer les portes sur l’endroit où leur monde ne fait que commencer —, leur danger, leur idéal, leur aspiration… Pour parler d’une manière plus courtoise : la philosophie ne suffit pas au grand nombre. Il lui faut la sainteté. —

4.

— Je vais encore raconter l’histoire de l’Anneau. Sa place est ici. Elle aussi, elle est une histoire de rédemption : avec cette variante que cette fois, c’est Wagner qui est sauvé. — Wagner, durant la moitié de sa vie, a cru à la Révolution, comme seul un Français pourrait y croire. Il suivait ses traces dans les caractères runiques de la mythologie, il croyait découvrir en Siegfried le révolutionnaire typique. — « D’où vient tout le malheur dans le monde ? » s’est demandé Wagner. « D’anciennes conventions », répondit-il, comme tous les idéologues révolutionnaires. C’est-à-dire : des coutumes, des lois, des morales, des institutions, de tout ce qui sert de base au vieux monde, à la vieille société. Comment supprimer le mal dans le monde ? Comment supprimer la vieille société ? Il n’y a qu’un seul moyen : déclarer la guerre aux conventions (la tradition, la morale). C’est ce que fait Siegfried. Il commence de bonne heure, de très bonne heure : sa naissance est déjà une déclaration de guerre à la morale — il vient au monde grâce à l’adultère et à l’inceste… Ce n’est pas la légende, c’est Wagner qui a inventé ce trait