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LE CRÉPUSCULE DES IDOLES

elles conditionnées le plus diversement possible, ont puissance d’art : avant tout l’ivresse de l’excitation sexuelle, cette forme de l’ivresse la plus ancienne et la plus primitive. De même l’ivresse qui accompagne tous les grands désirs, toutes les grandes émotions ; l’ivresse de la fête, de la lutte, de l’acte de bravoure, de la victoire, de tous les mouvements extrêmes ; l’ivresse de la cruauté ; l’ivresse dans la destruction ; l’ivresse sous certaines influences météorologiques, par exemple l’ivresse du printemps, ou bien sous l’influence des narcotiques ; enfin l’ivresse de la volonté, l’ivresse d’une volonté accumulée et dilatée. — L’essentiel dans l’ivresse c’est le sentiment de la force accrue et de la plénitude. Sous l’empire de ce sentiment on s’abandonne aux choses, on les force à prendre de nous, on les violente, — on appelle ce processus : idéaliser. Débarrassons-nous ici d’un préjugé : idéaliser ne consiste pas, comme on le croit généralement, en une déduction, et une soustraction de ce qui est petit et accessoire. Ce qu’il y a de décisif c’est, au contraire, une formidable érosion des traits principaux, en sorte que les autres traits disparaissent.

9.

Dans cet état on enrichit tout de sa propre plénitude : ce que l’on voit, ce que l’on veut, on le voit gonflé, serré, vigoureux, surchargé de force. L’homme ainsi conditionné transforme les choses jusqu’à ce qu’elles reflètent sa puissance, — jusqu’à ce qu’elles deviennent des reflets de sa perfection.