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LE CAS WAGNER


— Une telle conception de l’amour (la seule qui soit digne du philosophe —) est rare : elle distingue une œuvre d’art entre mille. Car d’une façon générale les artistes ont le même sort que tout le monde, souvent même à un plus haut degré, — ils méconnaissent l’amour. Wagner lui-même l’a méconnu. Ils croient être généreux en amour puisqu’ils veulent l’avantage d’un autre être souvent même au dépens de leur propre intérêt. Mais, en récompense, ils veulent posséder cet autre être… Dieu lui-même ne fait pas exception ici. Il est loin de penser : « Si je t’aime, est-ce que cela te regarde[1]. » — Il devient terrible quand on ne le paye pas de retour. L’amour — avec cette parole on gagne sa cause auprès de Dieu et des hommes — est de tous les sentiments le plus égoïste, et, par conséquent, lorsqu’il est blessé, le moins généreux. (B. Constant.)

3.

Vous voyez déjà combien cette musique me rend meilleur ? — Il faut méditerraniser la musique : j’ai des raisons pour énoncer cette formule (Par delà le Bien et le Mal, aph. 256). Le retour à la nature, à la santé, à la gaieté, à la jeunesse, à la vertu ! — Et cependant j’étais l’un des wagnériens les plus corrompus… J’étais capable de prendre Wagner au sérieux… Ah ! le vieux magicien nous en a-t-il assez fait accroire ! La première chose que nous offre son art c’est un verre grossissant : on regarde

  1. Gœthe, Wilhelm Meister. — N.d.T.