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sont aujourd’hui le peuple le plus arriéré de l’Europe au point de vue de la civilisation : cela même a son avantage, — puisque grâce à cela ils en sont aussi relativement le plus jeune.

L’adhésion à Wagner coûte cher. Il y a bien peu de temps que les Allemands ont désappris une sorte de crainte qu’ils ressentaient en sa présence, — le désir de se défaire de lui les atteignait en chaque circonstance.[1]}}. — Se souvient-on d’une curieuse occurrence en

  1. Remarque. — Wagner était-il en somme un Allemand ? On a plusieurs raisons de se le demander. Il est difficile de découvrir en lui un seul trait allemand. Il a, comme un grand étudiant qu’il était, étudié à imiter beaucoup d’allemand, — c’est tout. Son caractère est même en contradiction avec ce qu’on avait jugé jusque là bien allemand : pour ne pas parler de musicien allemand ! — Son père était un cabotin qui s’appelait Geyer. Un Geyer est déjà presque un Adler*)… Ce que l’on a mis en circulation comme «vie de Wagner» est fable convenue, sinon pire. J’avoue ma défiance sur un point quelconque, dès que Wagner lui-même en a témoigné. Il n’avait pas assez de fierté pour accepter toutes les vérités, personne ne fut moins fier ; il demeura, tout-à-fait comme Victor Hugo, fidèle à lui-même en matière même de biographie, — il demeura cabotin.
    *) Jeu de mots doublement intraduisible. Le mot Geyer (signifiant vautour) et le substantif Adler (qui signifie aigle) servent de noms de famille à beaucoup de juifs allemands. Nietzsche fait de la sorte allusion à l’opinion d’après laquelle Wagner eût été juif. (N. d. Tr.)