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une forme aussi terrible que dans ce cri de Don José, avec lequel l’ouvrage se clôt :

Oui, c’est moi qui l’ai tuée,
Carmen, ma Carmen adorée !

Une telle intelligence de l’amour (la seule qui soit digne d’un philosophe —) est rare : elle élève une œuvre d’art au-dessus de mille autres. Car d’ordinaire les artistes ont le même tort que tout le monde, même d’une manière plus sensible, — ils méconnaissent l’amour. Wagner lui-même l’a méconnu. Ils se croient affranchis d’eux-mêmes par l’amour, parce qu’ils veulent le bonheur d’une autre créature, souvent même aux dépens de leur propre bonheur. Mais ils veulent en récompense posséder cette créature… Dieu lui-même n’est pas une exception. Il est fort éloigné de penser : « Si je t’aime, est-ce que cela te regarde ? » — il devient terrible, si on ne l’aime pas en retour. L’amour — avec cette parole on gagne sa cause chez les dieux et chez les hommes — est de tous les sentiments le plus égoïste, et, par conséquent, lorsqu’il est blessé, le moins généreux.[1] (B. Constant.)

  1. En français dans le texte.