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L’ORIGINE DE LA TRAGÉDIE

temps et du sens véritable, c’est-à-dire métaphysique, de la vie. Lorsqu’au contraire un peuple commence à se concevoir soi-même historiquement et à renverser autour de soi les remparts mythiques, on constate en même temps d’ordinaire une sécularisation décidée, une rupture avec l’inconsciente métaphysique de son existence antérieure et toutes les conséquences éthiques qui s’ensuivent. C’est avant tout l’art grec, en particulier la tragédie grecque, qui retarda la disparition du mythe. Il fallut les exterminer ensemble pour pouvoir vivre, sans foyer et sans frein, dans le désert de la pensée, de l’usage et du fait. Et même alors cet instinct métaphysique essaie encore de se créer une expression transfigurée, quoique affaiblie, dans le socratisme scientifique incitant à la vie. Mais, dans les classes inférieures, ce même instinct aboutit seulement à une recherche fiévreuse, qui s’égara peu à peu dans un pandémonium de mythes et de superstitions amoncelés de toutes provenances, au milieu desquels l’Hellène demeura l’âme inquiète et mécontente, jusqu’à ce que, désormais Græculus, il fut arrivé à savoir dissimuler cette fièvre sous un masque d’insouciance et de sérénité grecques, ou à s’abrutir tout à fait dans quelque morne idolâtrie orientale.

Depuis la résurrection de l’antiquité alexandrino-romaine, au quinzième siècle, après un long entracte malaisément descriptible, nous nous som-