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L’ORIGINE DE LA TRAGÉDIE

l’autre, aussi divergents qu’aujourd’hui. Nous comprenons pourquoi une aussi misérable culture hait l’art véritable : elle craint en lui l’instrument de sa ruine. Mais une forme entière de culture, je veux dire cette forme socratique et alexandrine, n’est-elle pas usée, finie, lorsqu’elle aboutit à un résultat aussi grêle et aussi fragile que la culture intellectuelle contemporaine ? Si des héros de l’envergure de Schiller et de Gœthe n’ont pu réussir à enfoncer la porte magique de la montagne enchantée de l’Hellénisme, si leur plus puissant effort n’a su trouver d’autre expression que le regard mélancolique et passionné qu’envoie vers sa patrie, au delà des mers, l’Iphigénie de Gœthe assise sur le rivage barbare de Tauris, quelle espérance resterait aux épigones de tels génies, si, d’un tout autre côté, à une place ignorée jusqu’ici de toute culture, la porte ne s’ouvrait soudain d’elle-même devant eux, — aux harmonies mystiques de la musique tragique retrouvée.

Il faut souhaiter que personne n’essaie d’ébranler notre foi en une renaissance imminente de l’antiquité hellénique, car c’est là notre seul espoir d’une régénération et d’une purification de l’esprit allemand aux effluves enchantés du feu de la musique. Dans la désolation et la torpeur de la culture présente, quel autre indice pourrions-nous relever d’une promesse réconfortante pour l’avenir ? Nous cherchons en vain à découvrir une seule