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L’ORIGINE DE LA TRAGÉDIE

atteint ; ou bien tous deux sont un sujet de joie, s’ils sont représentés comme étant une réalité. Du premier cas résulte l’élégie au sens strict du mot ; du second, l’idylle dans sa signification la plus étendue ». Il faut s’empresser de faire remarquer ce caractère commun des deux principes générateurs de l’opéra, que, par eux, l’idéal n’est pas conçu comme non atteint, ni l’état de nature considéré comme perdu. D’après cette manière de penser, il y aurait eu une époque primordiale où l’homme vivait au cœur même de la nature, et, dans cet état de nature, avait en même temps atteint à l’idéal de l’humanité, à une maîtrise artistique et une bonté paradisiaques ; nous serions tous les descendants de cet être primitif et parfait, nous en serions même encore la fidèle ressemblance ; seulement, pour nous reconnaître dans cet homme primordial, il nous faudrait rejeter quelque chose de nous, en renonçant volontairement à une érudition superflue, à une culture exagérée. Cette harmonie entre la nature et l’idéal, l’homme cultivé de la Renaissance la retrouvait dans son opéra imité de la tragédie grecque et se transportait ainsi dans une réalité idyllique ; il se servait de cette tragédie, comme Dante de Virgile, pour être conduit jusqu’aux portes du paradis : mais, à partir de là, il reprenait son indépendance pour aller plus loin encore et passait d’une imitation de la forme la plus élevée de l’art grec à une « restitution de tou-