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L’ORIGINE DE LA TRAGÉDIE

siaque. Je rappellerai d’abord l’avènement du stilo rappresentativo et du récitatif. Est-il croyable que cette musique, tout extériorisée, incapable de recueillement, ait pu être acceptée et cultivée avec un engouement passionné, en quelque sorte comme une régénération de toute véritable musique, par l’art d’une époque où venait de resplendir la sainteté et l’inexprimable sublime de la musique de Palestrina ? Et, d’autre part, qui voudrait attribuer au seul épicurisme, avide de divertissements, de la société florentine d’alors et à la vanité de ses chanteurs dramatiques, l’exclusive responsabilité de la vogue de l’opéra et de sa soudaine et frénétique expansion ? Que, dans le même temps et chez le même peuple, à côté de la voûte ogivale des harmonies de Palestrina, à laquelle avait travaillé tout le moyen âge chrétien, ait surgi cette fureur pour un mode d’expression qui n’est musical qu’à moitié, c’est là un phénomène que je ne puis m’expliquer que par l’action d’une tendance extra-artistique inhérente à la nature du récitatif.

Pour la satisfaction de l’auditeur qui veut percevoir avec netteté les paroles, le chanteur parle plus qu’il ne chante, et, par ce demi-chant, souligne plus fortement l’expression pathétique du discours. Grâce à ce renforcement du pathos, il facilite la compréhension de la parole et fait violence à l’élément qui constitue l’autre moitié de la musique. Le véritable danger qui le menace alors