Page:Nietzsche - L’Origine de la Tragédie.djvu/109

Cette page a été validée par deux contributeurs.
105
L’ORIGINE DE LA TRAGÉDIE

dans le mode d’Euripide, surgit cette espèce de jeu d’échecs dramatique, la nouvelle comédie, avec son habituelle apologie de l’adresse et de la ruse triomphantes. Et Euripide — le maître du chœur — fut exalté sans relâche ; oui, on se serait tué pour apprendre de lui quelque chose encore, si l’on n’avait pas eu conscience que, aussi complètement que la tragédie elle-même, les poètes tragiques étaient morts. Avec la tragédie, l’Hellène avait perdu la foi en sa propre immortalité ; il n’avait pas renoncé seulement à la foi en un passé idéal, mais aussi à la foi en un avenir idéal. Le mot de l’épitaphe connue : « Vieillard insouciant et capricieux », s’applique aussi à l’hellénisme vieilli. Le moment, la boutade, l’insouciance, la lubie fantaisiste sont ses idoles ; le cinquième état, celui des esclaves, ou tout au moins son sentiment, sa manière de penser, acquiert, maintenant la prépondérance ; et si l’on peut parler encore de « sérénité hellénique », il s’agit désormais de la sérénité de l’esclave, qui ne sait assumer de plus haute responsabilité que celle de l’heure présente, et dont le désir et l’admiration ne trouvent rien dans le passé ou dans l’avenir qui se puisse priser plus haut que le présent. Cet aspect de la « sérénité grecque » fut ce qui révolta les profondes et terribles natures des quatre premiers siècles du christianisme ; le fait de se dérober comme une femme devant ce qui est sérieux et effrayant, ce lâche laisser-aller au plaisir confortable, leur parut