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L’ORIGINE DE LA TRAGÉDIE

Tibère des navigateurs grecs égarés dans une île solitaire entendirent un jour cette terrifiante clameur : « Le grand Pan est mort ! » — ainsi retentit alors, à travers le monde hellène, comme un cri d’angoisse et de douleur : « La Tragédie est morte ! Perdue, avec elle, la poésie ! Silence ! Taisez-vous, épigones étiolés et pâles ! Aux Enfers ! afin que vous puissiez là-bas vous gaver des miettes des vieux maîtres ! »

Et lorsqu’apparut enfin une nouvelle forme d’art, qui saluait dans la tragédie son ancêtre et sa suzeraine, on dut constater avec effroi que cette forme reproduisait bien les traits de sa mère, mais justement ceux que celle-ci avait montrés au cours de sa longue agonie. Cette agonie de la tragédie avait été l’œuvre d’Euripide ; cette forme d’art tardive est connue sous le nom de nouvelle Comédie attique. En elle survécut l’image dégénérée de la tragédie, comme l’emblème commémoratif de sa fin pénible et violente.

Ce rapprochement fait comprendre le goût passionné que ressentaient pour Euripide les poètes de la comédie nouvelle, et l’on n’est plus surpris du souhait de Philémon qui eût voulu se faire pendre sur l’heure uniquement afin de visiter Euripide aux Enfers ; étant supposée pourtant chez lui la conviction que le défunt avait conservé là-bas ses facultés intellectuelles. Si l’on veut indiquer sommairement, et sans prétendre exprimer par là