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L’ORIGINE DE LA TRAGÉDIE

génie de la musique ; en vain de tes mains avides, tu essayas de piller toutes les fleurs de son parterre, tu n’obtins encore ainsi qu’un masque, une contrefaçon de musique. Et parce que tu renias Dionysos, Apollon t’abandonna à son tour. Va relancer toutes les passions dans leur gîte pour les enfermer dans ton domaine, ajuste aux discours de tes héros une dialectique sophistique soigneusement limée et aiguisée — les passions de tes héros ne seront jamais qu’un masque, une contrefaçon de passions, leur langage ne sera jamais qu’un pastiche.

11.

La tragédie grecque ne finit pas comme tous les autres arts de l’antiquité : elle périt par le suicide, conséquence d’un conflit insoluble, donc tragiquement, tandis que ceux-ci s’éteignirent dans un âge avancé, de la mort la plus belle et la plus sereine. En effet, de même que quitter la vie sans effort et entourées d’une admirable descendance semble le privilège de certaines natures favorisées, un semblable dénouement marque la fin des divers arts antiques : ils disparaissent lentement, et leur regard expirant peut percevoir encore leur incomparable lignée qui se dresse déjà pleine d’ardeur et d’impatience. La mort de la tragédie, au contraire, produisit une impression universelle et profonde de vide monstrueux. Comme au temps de