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HUMAIN, TROP HUMAIN, DEUXIÈME PARTIE

pleines de transformations multicolores et douloureusement charmantes, d’événements que les hommes bien portants, les esprits carrés doivent comprendre et sentir tout aussi peu que les malades et les condamnés, ceux qui sont prédestinés à la mort et non pas à la vie. À ce moment-là, je ne m’étais pas encore trouvé, mais je m’étais mis bravement en route pour arriver à mon « moi », et j’examinai mille choses et mille gens auprès de qui je passai, pour voir s’ils ne faisaient pas partie de « moi », ou du moins s’ils en savaient quelque chose.

8.

Peu à peu, il me vint un étonnement plus pur et plus profond, — il y eut plus de chaleur autour de moi, une atmosphère plus lumineuse. J’eus le sentiment qu’après de pareilles perspectives lointaines, mes yeux, les yeux pour mon « voisinage », commençaient seulement à s’ouvrir. Ces choses voisines et proches, quel duvet, quel charme, dans l’intervalle, avait été le leur ! Combien j’eus de reconnaissance envers mes aventures ! Et comme je fus heureux de ne pas être demeuré chez moi, au coin du feu, blotti frileusement dans un coin. Que de surprises ! Que de nouvelles émotions ! Que de bonheur encore dans la fatigue ! Quel repos sous les rayons du soleil ! Et cette nouvelle voix que j’entendais, ces rencontres, ces rares tendresses ! Que n’ai-je entendu alors ! Il est vrai que toujours la vieille voix dure me parvenait à l’oreille, la voix qui commandait : « Éloigne-toi d’ici ! En avant ! Mets-toi en route ! L’homme n’a pas encore été découvert par toi ! Il reste bien des pays et bien des mers qu’il te faudra voir : on ne sait pas qui tu pourras bien rencontrer ! Qui sait, toi-même peut-être ! »