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NOTES



5.

Que se passa-t-il alors, en somme, avec moi ? Je ne me comprenais pas moi-même, mais l’incitation était comme un commandement. Il semble que notro destinée future dispose de nous ; ce qui nous arrive est longtemps une énigme pour nous. Le choix des événements, la poussée et le désir soudain, la répulsion en face de ce qu’il y a de plus agréable, souvent de plus vénéré : de pareilles choses nous effrayent, comme si l’arbitraire jaillissait de nous, quelque chose de capricieux, de fou, de volcanique. Mais ce n’est que la raison supérieure et la précaution de notre tâche future. La longue phrase de ma vie — me disais-je avec inquiétude — faut-il peut-être la lire à rebours ? En lisant autrement, cela est certain, les paroles que je lisais n’avaient « pas de sens ».

Une grande séparation, toujours plus grande, un éloignement volontaire, un besoin de distance, un refroidissement et un assainissement — tout cela, et rien autre chose, fut mon désir pendant ces années. J’examinai tout ce à quoi mon cœur avait été attaché jusque-là, je retournai les choses, les meilleures et les plus aimées, et je ne regardai que leurs revers, j’agis à rebours avec tout ce que l’art humain de la calomnie et de la médisance avait pratiqué le plus finement. Alors je me mis à tourner autour de certaines choses qui jusqu’à m’étaient demeurées étrangères, avec une curiosité pleine de ménagements et même d’affection. J’appris à juger, d’une façon équitable, notre temps et tout ce qui est « moderne ». Il se peut que ce fût une façon de mauvais jeu, car j’en fus souvent malade. Mais ma résolution demeura inébranlable, et, même malade, je fis encore la meilleure mine à mon « jeu » et je me défendis méchamment contre toute conclusion à quoi la maladie ou la solitude, ou encore la fatigue des pérégrinations eussent pu contribuer. « En avant, me disais-je, demain tu seras bien portant ; aujourd’hui, il te suffit de passer pour