Page:Nietzsche - Humain, trop humain (2ème partie).djvu/401

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
401
LE VOYAGEUR ET SON OMBRE

rien, son cœur s’arrête, seul son œil vit, — c’est une mort au regard éveillé. L’homme voit là beaucoup de choses qu’il n’a jamais vues et tout ce qu’il peut apercevoir est enveloppé d’un tissu de lumière, noyé en quelque sorte. Il se sent heureux avec cela, mais c’est un bonheur lourd, très lourd. — Mais enfin le vent s’élève de nouveau dans les arbres, midi est passé, et la vie l’attire encore vers elle, la vie aux yeux aveugles, suivie de son cortège impétueux : les désirs et les duperies, l’oubli et les jouissances, l’anéantissement et la fragilité. Et c’est ainsi que vient le soir, plus orageux et plus actif que ne fut même le matin. — Pour les hommes véritablement actifs, ces états de connaissance prolongés paraissent presque inquiétants et maladifs, mais non pas désagréables.

309.

Se garder de son peintre. — Un grand peintre qui a révélé et fixé dans un portrait l’expression la plus complète, le moment le plus total dont un homme est capable, lorsqu’il reverra plus tard cet homme dans la vie réelle, aura presque toujours l’impression de voir une caricature.

310.

Les deux principes de la vie nouvelle. — Premier principe : il faut organiser la vie de la façon la plus sûre, la plus démontrable, et non point, comme on fit jusqu’à présent, selon des perspectives lointaines, incertaines, comme un horizon gros de nuages. Deuxième principe : il faut fixer, à