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HUMAIN, TROP HUMAIN, DEUXIÈME PARTIE

de justice que nous entendons maintenant chez ceux qui sont mécontents de l’évaluation du travail. Si l’on fait faire un pas de plus à sa pensée, on trouve chaque individu irresponsable de son produit, le travail : on ne peut donc jamais en déduire un mérite, tout travail étant aussi bon et aussi mauvais qu’il doit l’être d’après la constellation nécessaire des forces et des faiblesses, des connaissances et des désirs. Cela ne dépend pas du bon vouloir du travailleur s’il travaille, ni comment il travaille. Seuls les points de vue de l’utilité, points de vue restreints ou plus larges, ont créé les évaluations de la valeur du travail. Ce que nous appelons aujourd’hui justice est très bien à sa place sur ce domaine, étant une utilité extrêmement raffinée qui n’a pas égard seulement au moment et exploite l’occasion, mais qui songe à la durabilité de toutes les conditions et qui, pour cette raison, a aussi en vue le bien du travailleur, son contentement matériel et moral, — afin que lui et ses descendants continuent à bien travailler pour nos descendants, et que nous puissions avoir confiance en lui pour de plus longs espaces de temps que celui d’une seule vie humaine. L’exploitation du travail était, ainsi que l’on s’en rend compte aujourd’hui, une bêtise, un vol au détriment de l’avenir, un danger pour la société. Maintenant on en est déjà presque arrivé la guerre : et, dans tous les cas, les frais nécessaires à conserver la paix, à conclure des traités et à inspirer de la confiance seront extrêmement élevés, puisque la folie des exploiteurs fut très grande et de très longue durée.