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HUMAIN, TROP HUMAIN, DEUXIÈME PARTIE

en se perdant de vue pour un certain temps. Mais les hommes ne savent pas utiliser une conversation ; ils mettent beaucoup trop d’attention à ce qu’ils veulent dire et répondre, tandis que le véritable auditeur se contente parfois de répondre provisoirement et de dire simplement quelque chose, comme un acompte fait à la politesse, emportant par contre dans sa mémoire pleine de cachettes tout ce que l’autre a formulé, plus le ton et l’attitude qu’il mit dans son discours. — Dans la conversation habituelle chacun croit mener la discussion, comme si deux vaisseaux qui naviguent l’un à côté de l’autre et qui se donnent un petit choc de temps en temps avaient l’illusion de précéder ou même de remorquer le vaisseau voisin.

242.

L’art de s’excuser. — Lorsque quelqu’un veut s’excuser devant nous, il faut qu’il s’y prenne très habilement : car autrement il risque de nous persuader que c’est nous qui sommes fautifs, ce qui nous produit une impression désagréable.

243.

Relations impossibles. — Le vaisseau de tes idées a trop de tirage pour que tu puisses naviguer sur les eaux de ces personnes cordiales, honnêtes et avenantes. Il y a là trop de bas-fonds et de bancs de sable : il te faudrait louvoyer et biaiser et être dans un embarras continuel, et ces personnes s’embarrasseraient également à cause de ton embarras, dont elles ne sauraient deviner la cause.