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LE VOYAGEUR ET SON OMBRE

caste et de l’individu. En conséquence, il est louable, parce que l’on y économise de la force et du temps, que ce soient certaines villes et contrées de l’Europe, qui, pour ce qui en est du vêtement, pensent et inventent, en lieu et place de toutes les autres, car il faut considérer que le sens de la forme n’est pas communément donné à tout le monde : aussi n’est-ce point une ambition trop exagérée si Paris, par exemple, revendique, tant que ces oscillations continuent à subsister, le droit d’être la seule ville qui invente et innove sur ce domaine. Si un Allemand, par haine contre les revendications d’une ville française, veut s’habiller autrement et porter par exemple l’accoutrement d’Albert Dürer, il lui faudra considérer que, bien qu’il porte un costume qui était celui des Allemands d’autrefois, celui-ci n’aura néanmoins pas été inventé par les Allemands, — car il n’a jamais existé de costume qui pût caractériser l’Allemand en tant qu’Allemand ; il fera d’ailleurs bien de se rendre compte de l’air qu’il aura ainsi vêtu et de l’anachronisme que ce serait de montrer, sur un vêtement à la Dürer, une tête toute moderne, avec les lignes et les plis de caractère que le dix-neuvième siècle y a creusés. — Les mots « moderne », « européen » étant ici presque équivalents, on entend par Europe des étendues de territoire bien plus grandes que celles qu’embrasse l’Europe géographique, la petite presqu’île de l’Asie : il faut surtout comprendre l’Amérique, en tant qu’elle est fille de notre civilisation. D’autre part, ce n’est pas l’Europe tout entière qui tombe sous la définition que l’on donne de l’« Europe » au point de vue de