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HUMAIN, TROP HUMAIN, DEUXIÈME PARTIE

de celles par lesquelles se distinguent les autres et il leur arrive même de développer celles-ci à un degré moindre : de plus ils ont en particulier une étroitesse d’esprit qui manque à ceux-ci et à cause de quoi il n’est pas possible de les mettre à un poste et de voir en eux d’utiles instruments, — ils ne peuvent vivre que dans leur propre atmosphère, sur leur propre terrain. Cette étroitesse d’esprit leur permet de reconnaître ce qui, dans une science, leur « appartient », c’est-à-dire, ce qu’ils peuvent faire rentrer dans leur atmosphère et dans leur demeure ; ils ont toujours l’illusion de rassembler leur propriété éparse. Si on les empêche de construire leur propre nid, ils périssent comme des oiseaux sans abri. Le manque de liberté les jette dans la consomption. S’ils utilisent certaines entrées de la science à la façon des autres, ce seront toujours seulement celles où prospèrent les graines et les fruits qui leur sont nécessaires ; que leur importe si la science, dans son ensemble, possède des contrées incultes ou mal cultivées ? Ils ne prennent aucune part impersonnelle à un problème de la connaissance : de même qu’ils sont pénétrés de leur personnalité toutes leurs expériences et tout leur savoir se confondent de nouveau en une seule individualité, dont les différentes parties dépendent l’une de l’autre, empiètent l’une sur l’autre et sont nourries en commun, une individualité qui, dans son ensemble, possède une atmosphère à elle et une odeur qui lui est propre. — De pareilles natures produisent, au moyen de ces systèmes de connaissances personnelles, cette illusion qui consiste à croire qu’une