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LE VOYAGEUR ET SON OMBRE

dien de la prison vous a surpris et va prochainement prononcer sur vos têtes un jugement terrible. Vous le connaissez, il est dur et rancunier. Mais écoutez ce que je vais vous dire : vous m’avez méconnu jusqu’ici, je ne suis pas ce que je parais être. Bien plus, je suis le fils du gardien de la prison et je puis tout sur lui. Je puis vous sauver, je veux vous sauver. Mais, bien entendu, je ne sauverai que ceux d’entre vous qui croient que je suis le fils du gardien de la prison. Que les autres recueillent les fruits de leur incrédulité. » — « Eh bien ! dit après un moment de silence un des plus âgés parmi les prisonniers, quelle importance cela a-t-il pour toi que nous ayons foi en toi ou non ? Si tu es vraiment le fils et si tu peux faire ce que tu dis, intercède en notre faveur par une bonne parole, tu feras là véritablement une bonne œuvre. Mais laisse ces discours à propos de foi et d’incrédulité ! » — « Je n’en crois rien, interrompit l’un des jeunes gens. Il s’est fourré des idées dans la tête. Je parie que dans huit jours nous serons encore ici, exactement comme aujourd’hui, et que le gardien de la prison ne sait rien. » — « Et si vraiment il a su quelque chose, il ne sait plus rien maintenant, s’écria le dernier des prisonniers qui venait de descendre dans la cour, car le gardien de la prison vient de mourir subitement ». — « Holà ! s’écrièrent plusieurs prisonniers en même temps, holà ! Monsieur le fils, monsieur le fils ! où est l’héritage ? Sommes-nous peut-être maintenant tes prisonniers à toi ? » — « Je vous l’ai dit, répondit doucement celui que l’on apostrophait, je laisserai