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LE VOYAGEUR ET SON OMBRE

qu’il s’est vengé. — Ce motif est en tous les cas plus noble que le premier. Il y a encore un autre point de vue qui est important, c’est de savoir s’il considère son honneur comme endommagé aux yeux des autres (du monde) ou seulement aux yeux de l’offenseur : dans ce dernier cas il préférera la vengeance secrète, dans le premier la vengeance publique. Selon qu’en imagination il se verra fort ou faible, dans l’âme du délinquant et des spectateurs, sa vengeance sera plus exaspérée ou plus douce ; si ce genre d’imagination lui manque complètement il ne songera pas du tout à la vengeance, car alors il ne possédera pas le sentiment de l’honneur, et on ne saurait, par conséquent, offenser chez lui le sentiment. De même il ne songera pas à la vengeance, lorsqu’il méprise l’offenseur et le spectateur de l’offense : car, attendu qu’il les méprise, ceux-ci ne sauraient lui donner de l’honneur et, par conséquent, ne sauraient lui en prendre. Enfin, il renoncera encore à la vengeance, dans le cas, point extraordinaire, où il aimerait celui qui l’offense : peut-être aux yeux de celui-ci cette renonciation porte-t-elle préjudice à son honneur et il se rendra ainsi moins digne de l’affection en retour. Mais, renoncer à l’amour en retour, c’est là aussi un sacrifice que l’amour est prêt à porter, à condition qu’il ne soit pas forcé de faire mal à l’objet de son affection : ce serait là se faire mal à soi-même plus encore que ne lui fait mal ce sacrifice. Donc chacun se vengera, à moins qu’il ne soit dépourvu d’honneur, ou plein de mépris ou d’amour pour l’offenseur qui lui cause le dommage. Lorsqu’il s’adresse aux tri-