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HUMAIN, TROP HUMAIN, DEUXIÈME PARTIE

avouer que les choses les plus prochaines sont, pour la plupart des gens, mal vues, et très rarement étudiées. Et cela est-il indifférent ? — Que l’on considère enfin que de ce manque dérivent presque tous les vices corporels et moraux des individus : ne pas savoir ce qui nous est nuisible dans l’arrangement de l’existence, la division de la journée, le temps et le choix des relations, dans les affaires et le loisir, le commandement et l’obéissance, les sensations de la nature et de l’art, le manger, le dormir et le réfléchir ; être ignorant dans les choses les plus mesquines et les plus journalières — c’est ce qui fait de la terre pour tant de gens un « champ de perdition ». Qu’on ne dise pas qu’il s’agit ici comme partout du manque de raison chez les hommes : au contraire — il y a de la raison assez et plus qu’assez, mais elle est menée dans une direction fausse et artificiellement détournée de ces choses mesquines et prochaines. Les prêtres, les professeurs, et la sublime ambition des idéalistes de toute espèce, de la grossière et de la fine, persuadent à l’enfant déjà qu’il s’agit de toute autre chose : du salut de l’âme, du service de l’État, du progrès de la science, ou bien de considération et de propriété, comme du moyen de rendre des services à l’humanité entière, au lieu que les besoins de l’individu, ses nécessités grandes et petites, dans les vingt-quatre heures du jour, sont, dit-on, quelque chose de méprisable ou d’indifférent. — Socrate déjà se mettait de toutes ses forces en garde contre cette orgueilleuse négligence de l’humain au profit de l’homme, et aimait, par une citation d’Homère, à rappeler