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HUMAIN, TROP HUMAIN, DEUXIÈME PARTIE

sait comme son article de foi à lui, il ne crut pas à cet axiome dans la bouche des Italiens : tandis que ceux-ci l’avaient, comme on sait, trouvé beaucoup plus tôt et répandu sans bruit à travers toute l’Italie. Luther vit dans cet accord apparent les malices du démon et empêcha l’œuvre de paix, dans la mesure de ses forces : par quoi il donna une bonne avance aux intentions des ennemis de l’Empire, — Or, pour augmenter cette impression d’une farce épouvantable, il ne faut pas oublier qu’aucun des axiomes sur quoi l’on discutait alors à Ratishonne ne possédait ombre de réalité, ni celui du péché originel, ni celui du salut par les intercesseurs, ni celui de la justification par la foi, et qu’aujourd’hui ils ne peuvent plus se discuter. — Et pourtant, à cause de ces articles de foi, le monde fut mis à feu et à sang. On se battit donc pour des opinions qui ne correspondent à rien de concret ni de réel ; tandis qu’au sujet de questions purement philologiques, par exemple l’explication de paroles sacramentelles de la sainte cène, une controverse pourrait être permise, parce que,dans ce cas, il existe une vérité. Mais où il n’y a rien, la vérité elle-même perd ses droits. — En fin de compte, on ne peut pas dire autre chose, si ce n’est qu’alors des sources de forces ont jailli, tellement puissantes, que, sans elles, tous les moulins du monde moderne auraient marché à une vitesse moindre. Et c’est avant tout la force qui importe et, après seulement, la vérité, mais bien après, n’est-ce pas, mes chers hommes d’aujourd’hui ?