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OPINIONS ET SENTENCES MÊLÉES

complet à peine indiqué, dans le surcomplet, il y a une sainteté qui fait frémir, qui doit empêcher que l’on songe à l’homme, à ce qui ressemble à l’homme. Ce n’est pas lorsque l’on se trouve à un degré embryonnaire de l’art que l’on produit de telles formes : comme si, à l’époque où l’on adorait ces images, on n’avait pas pu parler plus clairement et figurer avec plus de réalité. Au contraire, on craignait avant tout une chose : l’expression directe. Tout comme la cella, le lieu très saint, cache même le véritable nom de la divinité, l’enveloppant d’une mystérieuse demi-obscurité, mais pas complètement : de même que le temple périptère cache encore la cella, la garantissant en quelque sorte de l’œil indiscret, comme avec un voile protecteur, mais pas complètement : de même l’image est la divinité et, en même temps, la cachette de la divinité. — Ce n’est que lorsque, en dehors du culte, dans le monde profane de la lutte, la joie que suscite le vainqueur du combat se fut élevée si haut que les vagues de l’enthousiasme passèrent dans les ondes du sentiment religieux, lorsque la statue du vainqueur fut placée sur les parois du temple et lorsque le visiteur fut forcé, volontairement ou involontairement, à habituer son œil et son âme à ce spectacle inévitable de la beauté et de la force humaines, en sorte que ce rapprochement local fit se confondre, dans l’esprit, la vénération pour les hommes et les dieux : alors seulement se perdit la crainte qu’inspirait la figure humaine, dans l’image divine, et s’ouvrit l’énorme champ d’activité pour la grande sculpture. Pourtant une restriction demeure