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DEUXIÈME PARTIE

aux pessimistes d’aujourd’hui, qui tous se trouvent encore en danger de romantisme ? Et, en tous les cas, de leur en indiquer la manière ?…

3.

Il était, en effet, grand temps de prendre congé : cela me fut démontré de suite. Richard Wagner, le plus victorieux en apparence, en réalité un romantique, caduc et désespéré, s’effondra soudain, irrémédiablement anéanti devant la sainte croix… Aucun Allemand n’avait-il donc alors d’yeux pour voir, de pitié dans la conscience, pour déplorer cet horrible spectacle ? Ai-je donc été le seul qu’il ait fait — souffrir ? N’importe, l’événement inattendu me jeta une lumière soudaine sur l’endroit que je venais de quitter, — et me donna aussi ce frisson de terreur que l’on ressent après avoir couru inconsciemment un immense danger. Lorsque je continuai seul ma route, je me mis à trembler. Peu de temps après je fus malade, plus que malade, fatigué, — fatigué par la continuelle désillusion au sujet de tout ce qui nous enthousiasmait encore, nous autres hommes modernes ; de la force, du travail, de l’espérance, de la jeunesse, de l’amour inutilement prodigués partout ; fatigué par dégoût de tout ce qu’il y a de féminisme et d’exaltation désordonnée dans ce romantisme, de toute cette menterie idéaliste et de cet amollissement de la conscience, qui de nouveau l’avaient emporté là sur l’un des plus braves ; fatigué enfin, et ce ne fut pas ma moindre fatigue, par la tristesse d’un impitoyable soupçon, — je pressentais qu’après cette