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OPINIONS ET SENTENCES MÊLÉES

Par sa poésie, il vint au-devant de leurs élans supérieurs, nobles et impétueux, bien qu’encore obscurs, au-devant du plaisir que leur causait la sonorité des phrases morales (un plaisir qui tend à disparaître vers la trentième année de la vie), et, grâce à la passion et à l’esprit de parti qui anime cet âge, il conquit un succès qui finit par agir avantageusement sur l’âge plus mûr : car, d’une façon générale, Schiller a rajeuni les Allemands. — À tous égards, Gœthe se plaçait au-dessus des Allemands, et, maintenant encore, il se trouve au-dessus d’eux : il ne leur appartiendra jamais. Comment d’ailleurs un peuple pourrait-il être à la hauteur de l’intellectualité de Gœthe, avec son bien-être et sa bienveillance ! Tout comme Beethoven fit de la musique en passant sur la tête des Allemands, tout comme Schopenhauer philosopha au-dessus des Allemands, Gœthe écrivit son Tasse, son Iphigénie au-dessus des Allemands. Un très petit nombre d’hommes très cultivés le suivirent, d’hommes éduqués par l’antiquité, la vie et les voyages, ayant grandi au-dessus de l’esprit allemand : il voulut lui-même qu’il n’en fût pas autrement. — Lorsque plus tard les Romantiques édifièrent leur culte raisonné de Gœthe, lorsque leur étonnante habileté dans le flairage passa aux élèves d’Hegel, qui furent tles véritables éducateurs des Allemands de ce siècle, lorsque les poètes allemands mirent à profit, pour répandre leur gloire, l’ambition nationale qui s’éveillait et que la véritable mesure d’un peuple, ce qui est de savoir s’il peut loyalement se réjouir de quelque chose, fut impitoyablement subordonnée au jugement de