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HUMAIN, TROP HUMAIN, DEUXIÈME PARTIE

dies et les chansons qui font maintenant toute la joie des couches vigoureuses de la population, les moins gâtées et les plus naïves, vivez parmi les bergers, les métayers, les paysans, les chasseurs, les soldats, les matelots, et vous serez édifiés sur ce sujet. Dans les petites villes encore, dans les maisons où est le siège des héréditaires vertus bourgeoises, n’aime-t-on et ne cultive-t-on pas la plus mauvaise musique qui aitjamais été produite ? Celui qui parle de besoins profonds, d’aspirations inassouvies qui poussent le peuple vers l’art, le peuple tel qu’il est, celui-là radote ou veut faire des dupes. Soyez donc francs ! Ce n’est que chez l’homme d’exception qu’existe aujourd’hui le besoin d’un art de style supérieur, — et cela parce que, d’une façon générale, l’art est de nouveau pris dans un mouvement rétrograde et que les forces et les espérances humaines se sont jetées, pour un temps, sur autre chose. — Il est vrai qu’il existe en outre, c’est-à-dire à l’écart du peuple, un besoin d’art vaste et considérable, mais de second ordre. On trouve ce besoin chez les classes supérieures de la société : là quelque chose comme une communauté artistique de bonne foi est possible. Mais regardez donc de plus près les éléments de cette communauté ! Ce sont en général les mécontents plus distingués qui, par eux-mêmes, ne peuvent s’élever à une joie véritable : l’homme cultivé qui ne s’est pas assez libéré pour pouvoir se passer des consolations de la religion èl qui pourtant ne trouve pas assez odorants les baumes de celle-ci ; le demi-noble qui est trop faible pour briser le vice fondamental