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côte apparaît. Quelle que soit cette côte, c’est là qu’il faut atterrir, et le plus mauvais port de fortune vaut mieux que le retour dans l’infini sceptique et sans espoir. Tenons-nous-en toujours à la terre ferme ; plus tard nous trouverons déjà les ports hospitaliers et, à ceux qui viendront, nous faciliterons l’abordage.

Ce voyage a été dangereux et irritant. Combien nous sommes maintenant loin de la tranquille contemplation que nous mettions au début à regarder nos navires voguer vers le large ! Suivant à la piste les dangers de l’Histoire, nous avons été sans cesse exposés à en recevoir les coups. Nous-mêmes, nous portons les traces des souffrances qui ont accablé les hommes des temps modernes, par suite de l’excès des études historiques, et ce traité-ci, avec sa critique immodérée, la verdeur de son humanité, ses sauts fréquents de l’ironie au cynisme, de la fierté au scepticisme, montre bien, je ne voudrais pas le cacher, qu’il porte l’empreinte moderne, le caractère de la personnalité faible. Et pourtant, j’ai confiance en la puissance inspiratrice qui, à défaut d’un génie, conduit ma barque, j’ai confiance en la jeunesse et je crois qu’elle m’a bien guidé en me poussant maintenant à écrire une protestation contre l’éducation historique que les hommes modernes donnent à la jeunesse. En protestant, j’exige que l’homme apprenne avant tout à vivre et qu’il n’utilise l’histoire qu’au service de la vie apprise.