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un contrat de travail et ils ont décrété que le génie était inutile ; — sur quoi ils ont délivré à chaque charretier l’estampille du génie. Mais la postérité verra bien à leurs édifices qu’ils ont fait un travail de charretier et non point œuvre d’architecte. À ceux qui ont sans cesse à la bouche le cri de guerre moderne et l’appel au sacrifice : « division du travail, restez dans le rang ! » il convient de répondre une fois haut et clair : plus vous voudrez accélérer les progrès de la science, plus vite vous anéantirez la science, de même que périt une poule que l’on contraint artificiellement à pondre trop vite ses œufs. La science a fait, dans cette dernière dizaine, des progrès étonnamment rapides. À merveille ! Mais regardez donc les savants : des poules épuisées. Vraiment, ce ne sont point là des natures « harmonieuses » ! Ils savent seulement caqueter plus souvent qu’autrefois, parce qu’ils pondent plus d’œufs : il est vrai que ces œufs sont de plus en plus petits, encore que les livres que font les savants soient de plus en plus gros. Un dernier résultat, résultat fort naturel, se produit, le désir général de « populariser » la science (de même que celui de la « féminiser », de l’ « infantiliser »), ce qui équivaut à ajuster le vêtement de la science au corps du « public moyen », pour désigner une activité de tailleur dans le langage des tailleurs. Gœthe voyait dans ce procédé un abus et voulait que les sciences n’agissent sur le monde extérieur que par une pratique