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alors que la joie de vivre, vigoureuse et exubérante, animait la culture grecque. Son jugement est d'un poids d'autant plus considérable qu'il n'est contredit par au­cun jugement contraire d'aucun grand philosophe de la même grande époque. C'est lui qui parle avec le plus de précision, mais, au fond, si l'on sait ouvrir les oreilles, ils disent tous la même chose. Un penseur mo­derne, je l'ai déjà dit, souffrira toujours d'un désir non réalisé, il exigera qu'on lui montre de nouveau de la vie, de la vie vraie, rouge et saine, pour qu'il formule ensuite son jugement sur elle. Pour lui, du moins, il estimera qu'il est nécessaire qu'il soit un homme vivant avant d'avoir le droit de croire qu'il peut être un juge équitable. Voilà pourquoi ce sont précisément les nou­veaux philosophes qui font partie des plus puissants accélérateurs de la vie; voilà pourquoi ils aspirent à s'é­vader de leur propre époque affaiblie, vers une nouvelle culture, vers une nature transfigurée. Mais chez eux cette aspiration est aussi un danger.En eux combat le réformateur de la vie et le philosophe, c'est-à-dire le juge de la vie. De quelque côté que penche la victoire ce sera toujours une victoire accompagnée de pertes. Com­ment donc Schopenhauer a-t-il échappé à ce dernier danger ?

Si tout grand homme doit avant tout être considéré comme l'enfant authentique de son temps et souffre cer­tainement de toutes ses infirmités d'une façon plus in­tense et plus sensible que tous les hommes moindres, la lutte d'un pareil grand homme contre son temps n'est en apparence qu'une lutte insensée et destructive contre lui-même. En apparence seulement, car en com